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04.04. Babel - Chapitre IV (4/4)

lundi 24 septembre 2007, par Luc de Bauprois


(Episode précédent)

L’autre comprit son hésitation et relança la conversation :

— Alors jeune homme, pourquoi vous intéressez-vous à la tour ?

— Hé bien, commença Alain. Je…

Il hésitait à parler de l’affaire à l’inconnu. Après tout, on lui avait demandé d’oublier le dossier.

— Oui ?

— Euh… Je suis fasciné par cette construction, mentit-il. Pas au point d’aller me prosterner à sa base bien sûr. Mais j’ai envie d’en savoir plus sur elle…

— Que voulez-vous savoir ?

— Tout !

— C’est un vaste sujet, vous savez. Il y en aurait pour des heures à tout vous expliquer…

— En vérité, j’aimerais savoir s’il serait encore possible de rentrer dans la tour…

— Vous voulez entrer dans la tour ? demanda-t-il, incrédule.

Puis, après un court instant de silence :

— Mais vous n’avez sans doute pas envie d’en parler… Rentrer dans la tour, répéta-t-il, songeur. Vous savez, la chaleur de l’incendie a été terrible ! Tous les ascenseurs qui permettaient de monter dans les étages ont été détruits. Et les entrées ont été murées quelques temps après…

— Et par les fondations ? demanda Alain.

— Là vous m’en demandez beaucoup. Je n’ai rejoint le projet qu’en 1952 et je n’ai pas participé à la construction des fondations de la tour. Peut-être dans mes archives…

— Vous avez gardé des documents ?

— Oui, je n’ai pu me résoudre à les détruire. Si une des milices avait perquisitionné chez moi, j’étais bon pour douze balles dans la peau.

— Pourquoi ?

— C’est vrai. Vous êtes trop jeune pour avoir connu la vague de folie qui a submergé Paris en 1974, lorsque la tour a brûlé.

— J’avais sept ans.

— Ce qui s’est passé est à la fois simple et complexe. La tour était l’honneur et le prestige de la France. Lorsqu’elle a brûlé on s’est mis à la haïr, à ne pas vouloir admettre l’échec qu’elle représentait. Les intégristes catholiques ont clamé à la vengeance céleste. C’est d’ailleurs depuis ce temps-là que la tour est surnommée “Babel”. Alors ils ont formé des milices chargées de détruire tout ce qui la concernait. Ils auraient détruit la tour elle-même s’ils avaient pu le faire.

— Ce n’était pas possible ?

— Non. La tour mesure plus de six kilomètres de haut, six mille six cent soixante mètres, pour être exact. Sa démolition aurait pris des années… et aurait coûté des millions. De plus elle servait déjà de support au voile qui protège Paris de la pollution extérieure. Heureusement qu’on a réussi à le préserver du feu, sinon…

— Est-il vraiment nécessaire ?

— Vous êtes déjà allé dehors, je veux dire au-delà du voile ?

— Non.

— Alors vous ne pouvez pas comprendre… Il est impossible d’y survivre sans un équipement adéquat : sans masque on y meurt en dix heures et sans combinaison étanche on ne peut y demeurer plus de deux ou trois jours. Enfin, ces chiffres ne sont valables que pour nous, les Parisiens : nous avons toujours vécu dans une atmosphère purifiée… Dehors, ceux qui n’ont pas pu venir ici se sont progressivement adaptés aux polluants… Ce ne sont pas des mutants, mais presque. Les usines ont tourné à plein pendant presqu’un siècle pour fournir les matériaux de construction. La tour nous protège à présent des déchets qu’elle a elle-même engendrés. Quelle ironie du sort… Et puis le voile a un autre rôle, plus psychologique celui-là.

— Lequel ?

— Vous ne voyez vraiment pas ?

— Non, à part la pollution…

— Vous êtes la preuve vivante de la qualité des services de propagande du gouvernement : la fabrication et la pose du voile ont coûté presque aussi cher qu’une campagne de dépollution…

— Venez-en au fait !

— J’y arrive. Un énorme problème qui est apparut un peu trop tard aux yeux des constructeurs est celui de l’ombre de la tour…

— Son ombre ?

— Oui… Pendant la journée, l’ombre de Babel balayait tout Paris, comme l’aiguille d’un gigantesque cadran solaire… Certains quartiers, proche de la construction, n’avaient plus droit qu’à quelques heures, voire quelques minutes, de soleil par jour…

— Quel rapport avec le voile ?

— La réponse est simple lorsqu’on connaît sa structure : il s’agit d’une application des cellules solaires à effet Martson.

— Des quoi ?

— Un type de photopiles à haut rendement. En fait le voile est un immense panneau solaire. Côté extérieur, la lumière est convertie en énergie et de notre côté, elle est reconvertie, uniformément, en lumière…

— Pourquoi avoir caché la vérité ? Pourquoi avoir préféré mettre une ville sous cloche plutôt que d’assainir l’atmosphère ?

— Je ne sais pas… Je pense que les autorités de l’époque n’avaient aucune envie de nettoyer la planète entière : chaque pays prétendait n’avoir aucune responsabilité dans la pollution et aucun accord n’a jamais pu être conclu. Et en plus, la dépollution aurait pris trop de temps et n’aurait donné qu’un air de qualité moyenne : ici, sous le voile, il est d’une pureté extrême… En plus, ça devait plaire aux politiques de l’époque de pouvoir si facilement contrôler la population !

— Je vois…

— Et puis, je suspecte les autorités d’avoir voulu tirer profit de la situation…

— Comment cela ?

— En diminuant progressivement la lumière réémise à l’intérieur… Un abaissement graduel serait passé inaperçu et aurait permis une production d’énergie à coût réduit.

— Tout cela n’explique pas complètement le voile.

— Je sais. La vérité est certainement autrement plus complexe !

Ils restèrent silencieux un moment.

— Vous parliez de documents… reprit Alain.

— Oui. Vous voulez les voir ?

— Avec plaisir. Mais…

— Mais ?

— Pourquoi me faites-vous tellement confiance ? Ne craignez-vous pas d’être considéré comme faisant partie des fanatiques ?

— Vous savez, les esprits se sont bien calmés depuis. Et puis, je suis un vieil homme, à la retraite. Je ne risque pas de perdre mon boulot ! Soyez sérieux, que pourrait-il bien m’arriver ? Cela fait tellement longtemps que je n’ai pas parlé de Babel. Je crois que j’en avais besoin et vous êtes arrivé au bon moment, voilà tout…

Alain ne répondit rien. L’homme reprit :

— Venez. Ma voiture n’est pas loin.

Alain régla les consommations et ils quittèrent le café…

A suivre...


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